Devant l’ambiance générale qui prévaut dans la société actuelle le SEFAFI, Sehatra Fanaraha-maso ny Fiainam-pirenena ou Observatoire de la vie nationale, fait connaître dans un énième communiqué sa vision des faits.
DÉCHÉANCE GÉNÉRALE
Ce qui devait arriver est arrivé. En demandant la « dissolution » (fandravana) puis le « changement » (fanamboarana) des Institutions de l’État, les Assises dites nationales ont ouvert le conflit latent entre le Président de la République et l’Assemblée nationale – même si les « résolutions » que le Président de la République s’était aveuglement engagé à mettre en œuvre étaient devenues de « simples suggestions »[1]. Bien que ces Assises n’aient aucune légitimité et leurs résolutions aucune valeur juridique, n’étant qu’un accord politique ou, pour le FFKM (Conseil des Églises chrétiennes à Madagascar), un « contrat moral », le mal était fait.
Les protagonistes
Votée le 26 mai par 121 voix sur un total de 151, la mise en action d’une procédure en vue de la déchéance du PRM du Président de la République est la conclusion provisoire, et logique, d’un conflit qui remonte aux premiers jours de la législature. L’Assemblée issue des urnes le même jour que le PRM lui-même, et donc d’égale légitimité, avait élu sa présidente et le bureau permanent à la majorité des voix, le 18 février 2014. Mais le parti du Président, n’ayant qu’un seul élu, a improvisé une majorité rivale en débauchant des députés d’autres partis et des indépendants qui, quelques jours plus tard, ont démis la présidente et le bureau pour les remplacer par des personnes à leur solde. Désormais, les majorités à l’Assemblée se font et se défont selon la logique de la corruption, à coup de mallettes de billets de banque et de cadeaux – y compris le soir du vote de la déchéance, selon les dires de témoins. Oui, le Président de la République n’a cessé d’interférer dans le fonctionnement de l’Assemblée, et une grande partie des accusations portées par les députés sont fondées.
Pour autant, l’Assemblée n’est pas exempte de reproches. Outre leur vénalité et leur volonté obsessionnelle de réclamer le maximum d’avantages personnels (voitures 4×4, passeport diplomatique…), le laisser-aller des députés est patent. Champions de l’absentéisme alors que leur première et ultime fonction est de voter les lois, ils n’ont avancé quasiment aucune proposition de loi – notamment pour pallier de manière démocratique et constructive le retard de l’exécutif dans la mise en place des nouvelles institutions. Certes, ils étaient présents lors des sessions extraordinaires de dernière minute, convoquées par un exécutif dysfonctionnel, et rémunérées. Mais les débats ont été quasi absents, les députés se contentant de voter les textes présentés par l’exécutif et, pour des documents majeurs tels que la loi de finances, à l’unanimité et sans amendement ! Curieusement, ils semblent être à la fois à la solde de l’exécutif (au niveau de leurs attributions) et contre lui (pour des raisons bassement matérielles).
Un effort conjugué de l’exécutif et des législateurs pour mettre en place les Institutions prévues par la loi fondamentale aurait été la preuve de leur volonté commune d’instaurer l’État de droit auquel aspirent les citoyens. Celui-ci commence par le respect de la Constitution, qui prévoit notamment la désignation d’un chef de l’opposition que cette Assemblée n’a jamais mis en place. Bref, sa dissolution aurait été une œuvre de salut public qu’il aurait fallu entreprendre dès les premières dérives. Le Président de la République a préféré la maintenir en place pour mieux se servir d’elle : il est aujourd’hui victime de son propre jeu.
Les procédures
Se pose alors la question de savoir comment sera gérée l’accusation de déchéance votée par l’Assemblée nationale. La Constitution, article 131, dit ceci :
«Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis liés à l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison, de violation grave, ou de violations répétées de la Constitution, de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.
Il ne peut être mis en accusation que par l’Assemblée Nationale au scrutin public et à la majorité des deux tiers de ses membres.
Il est justiciable devant la Haute Cour de Justice. La mise en accusation peut aboutir à la déchéance de son mandat».
Or la Constitution prévoit que la Haute Cour Constitutionnelle remplace la HCJ (Haute Cour de Justice) si cette dernière n’est pas installée, en dépit des injonctions de la Constitution. Le SeFaFi s’était déjà inquiété de cette carence[2], en vain. Voici ce qu’en dit le texte constitutionnel dans son article 167 :
«Afin de respecter le prescrit constitutionnel, le Président de la République, dans un délai de 12 mois à compter de son investiture, invite les Instances compétentes à désigner les membres qui composeront la Haute Cour de Justice afin de procéder dès l’expiration de ce délai à l’installation de la Haute Cour de Justice. Toute partie justifiant d’un intérêt peut saisir les institutions compétentes de demande de sanction en cas de carence.
En ce qui concerne le Président de la République, exceptionnellement, l’Instance compétente est la Haute Cour Constitutionnelle qui serait autorisée à prendre les sanctions qu’aurait pu prendre la Haute Cour de Justice si elle était installée».
Sur ce point, les juristes sont divisés. Pour les uns, la HCJ peut être saisie, car 7 de ses 11 membres ont déjà été désignés. Ils se réfèrent aux autres institutions « bancales », telle la HCC qui fonctionne avec un effectif de 7 membres sur 9. Ce que d’autres contestent : la HCJ n’a pas été installée officiellement, ses membres n’ont pas prêté serment et l’absence de plus d’un tiers de membres discrédite le fonctionnement normal d’une telle Institution.
Une décision politique
Derrière les querelles juridiques, ne soyons pas dupes, se cachent des visées politiques. Quid du timing de cette mise en accusation ? Les sorties médiatiques de Ravalomanana ont rallumé les feux de la déstabilisation, preuve de la faillite totale de la réconciliation. C’est ainsi que l’invocation de la sacro-sainte « stabilité », par des citoyens ou des ambassades oublieuses de leur devoir de réserve et de leur rôle lors des scrutins de 2013, dissimule mal la volonté de maintenir en place le Président, en tenant les députés comme seuls responsables de cette crise institutionnelle. Le mal est plus profond, il ne vient pas plus de la Constitution (certes imparfaite mais qui revalorise le Parlement et donne un statut à l’opposition) que des institutions. Madagascar n’a cessé de changer de constitution et d’institutions depuis un demi-siècle, sans aucun effet positif. Car les problèmes tiennent au mauvais usage du pouvoir et à l’absence d’esprit démocratique chez les décideurs, plus soucieux de leurs intérêts personnels que du bien commun. Tant que ces mœurs politiques ne changeront pas, qu’il s’agisse du président de la République, du gouvernement, des parlementaires, des magistrats ou des forces armées, la situation ne s’améliorera pas, même en dissolvant toutes les institutions et en changeant de constitution.
Le pays supportera mal une nouvelle période d’incertitude institutionnelle. L’issue pourrait être l’intervention d’un accord entre la Présidence et l’Assemblée nationale, qui ne soit pas une hypocrisie sans lendemain comme lors des Assises nationales. Il règlerait les modalités de leur collaboration d’ici à la fin de la législature, contraindrait l’ensemble des députés à revenir au choix politique que les citoyens ont validé en les élisant, et à faire savoir publiquement s’ils soutiennent le parti présidentiel et le gouvernement ou s’ils se situent dans l’opposition. En contrepartie, l’Assemblée se désisterait de sa demande de déchéance et le Président s’engagerait à ne pas dissoudre l’Assemblée d’ici la fin de la législature. L’arbitre de cet accord serait le FFM (Conseil de la Réconciliation malgache) dont la composition devra être renouvelée au préalable (leur nomination date de la Transition), avec un effectif limité à 9 membres à la compétence et à l’honnêteté reconnues de tous[3]. Un premier objectif sera d’aider à tenir les communales dans le calme, dans une optique « majorité/opposition » et de mettre en place la Chambre Haute. Ces mesures pourraient permettre à nos pratiques politiques de devenir enfin plus démocratiques, tout en assurant le respect du verdict des urnes car, malgré leur leurs défauts et travers respectifs, aussi bien le Président que les députés sont des élus de la République. Mal élus, mais élus quand même…
Antananarivo, 2 juin 2015
[1]. « FFKM : de la réconciliation à l’aventurisme politique », communiqué du SeFaFi, 5 mai 2015.
[2]. Voir notre communiqué du 11 février 2014 : « Après les élections, mise en place des institutions et réconciliation », dans Le débuts chaotiques de la IVe République, 2015, SeFaFi, pp. 6 à 11 ; ainsi que celui du 4 octobre 2014 : « Une République bancale », ibidem, pp. 44 à 53.
[3]. Le SeFaFi l’avait déjà demandé dans son communiqué du 1er juin 2011 : « Arrêter la pagaille, sortir du transitoire » : « Les juges de la Cour suprême des États-Unis ne sont que neuf. Neuf personnes compétentes et représentatives suffiraient pour un Conseil de la réconciliation ». Voir SeFaFi, L’Observatoire de la vie publique à Madagascar. D’une crise à l’autre (2001-2013), Foi & Justice, 2014, page 342.
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