« DANY BE WHAT A WONDERFUL WORLD”. Tel est l’intitulé de la nouvelle exposition de Hakanto Contemporay. Il s’agit d’une exposition monographique de la grande figure de la photographie malgache et le pionnier dans le photojournalisme à Madagascar, Daniel Rakotoseheno, dit Dany Be. Entre un hommage et une consécration, cette exposition offre au public un large aperçu du travail mené par le photographe sur plusieurs décennies dans différents champs, à savoir la politique, le social, le sport, ou encore la culture et les événements importants de la société. Cette exposition met en lumière le regard que le photographe avait posé sur son temps, mais également son engagement artistique, social et politique. Elle témoigne de toute la contribution de Dany Be à l’histoire de la photographie malgache. Elle est ouverte au grand public du 04 mai au 26 octobre 2024, à l’Alhambra Gallery Ankadimbahoaka.
Sous le commissariat de Rina Ralay-Ranaivo et Jean Loup Pivin, avec la complicité de Rado Rakotoseheno, cette exposition rassemble 127 images du Dany Be, inédites pour la plupart. « Nous avons fait le choix de ne pas dissocier l’engagement professionnel de Dany Be en tant que journaliste, de son travail artistique, mais plutôt de mettre en parallèle ces deux aspects de son œuvre. D’une part, des séries d’images font directement référence à des contextes et domaines précis, tels que la politique, le social, le sport ou encore les loisirs ; et d’autre part, elles sont l’expression du regard que le photographe posait sur différents lieux et espaces, situations et contextes, à travers la Grande Île. Aussi bien en zone urbaine que rurale et même dans des régions reculées.
Les photographies de Dany Be traduisent souvent le sentiment de proximité qu’il avait avec son environnement. Dans une esthétique humaniste, il immortalisait les instants et les scènes de vie quotidienne, réalisait les portraits des personnes qu’il côtoyait et celles anonymes croisées par hasard. Ou simplement, il saisissait l’air du temps. Les images de Dany Be arrêtent le temps plusieurs décennies ans en arrière. Elles nous plongent dans des événements
historiques majeurs qui ont ponctué, depuis l’Indépendance en 1960, le parcours politique, économique, social et culturel de Madagascar. En outre, Dany Be disposait de son précieux carnet d’adresses et de son important réseau professionnel qui lui permettaient d’être au centre des moments décisifs lors de ces mouvements de protestation, ces périodes de basculement
et de transition. Enfin, entrecroisé de son récit personnel — marqué par les péripéties qu’il avait rencontrées dans l’exercice de sa profession
de journaliste photographe, ce travail dont l’esthétique peut se rattacher aux grands courants de la photographie humaniste, comme nous venons de le citer, démontre que le destin de Dany Be tutoyait celui de son pays à bien des périodes, faisant ainsi de lui un témoin exceptionnel de l’Histoire.
Dany Be percevait déjà que l’Histoire moderne de Madagascar était souvent occultée par les jeunes générations. C’est dans ce cadre qu’avec sa lutte pour la liberté d’opinion et d’expression, la transmission des connaissances à la jeunesse figurait parmi ses principales préoccupations, notamment vers le milieu de sa vie. Il était également l’un des principaux animateurs de la vie professionnelle des photographes malgaches », selon les commissaire d’exposition.
Biographie
Dany Be, de son vrai nom Daniel Rakotoseheno, est né en 1935 au sein d’une famille protestante parmi une fratrie de 11 frères
et sœurs. Tout au long de sa vie, il avait été une force de caractère — un mélange de courage, d’audace et d’intransigeance — quand le
contexte et la situation le réclamaient. En 1947, il assistait à l’arrestation de son père, fondateur du journal La Grande Île, par la Sureté Générale ainsi qu’à des scènes d’humiliation et de violence lorsqu’il lui rendait visite en prison.
Entre 1955 et 1956, pendant son service militaire dans l’Armée française, il était outré de l’attitude humiliante de l’un de ses supérieurs hiérarchiques qui photographiait la misère de la population malgache. D’emblée, le sentiment d’indignation causé par ces situations marquantes va susciter chez Dany Be l’aversion contre tout acte de répression et d’injustice. En même temps, cela l’avait également poussé vers la pratique photographique avec la volonté de représenter à sa manière son île et ses habitants.
À partir de 1957, son intérêt pour la photographie se confirme progressivement : Dany Be intègre le studio Select Photo à Antsirabe, tout en faisant en privé des reportages journalistiques avec un appareil photo emprunté à son frère. En 1959, il trouve un poste de journaliste photographe au sein du journal Madagascar Dimanche. Son premier reportage avait été sur la grande
inondation qui a submergé la plaine d’Antananarivo au mois de mars de la même année.Comme ses confrères photographes, Dany Be n’avait jamais franchi le seuil d’une école de journalisme, pourtant il allait devenir un des fers de lance de ce milieu. Il va apprendre son métier sur le tas, au contact des autres professionnels de la presse et de l’information. Il avait travaillé entre autres avec le journaliste Hugues Rabesahala, le reporter photographe Ahrys
Rakotondrazaka (fondateur de la Nouvelle Agence de Presse NAP et du studio Monde à Faravohitra) ainsi que le photographe Arsène Andriakoto (ainsi que chef de laboratoire de l’Express-Photo). Il se perfectionnera surtout sur le terrain, en sillonnant toutes les régions de la Grande Île et en voyageant à travers le monde — d’Afrique en Asie et d’Europe jusqu’en Amérique latine. Il avait également été correspondant pour quelques agences de presse européennes, telles que Gamma, Sygma et United Press International. Ce qui fera de lui l’un des tenants de la photographie malgache des premières décennies de l’Indépendance.
Au fil des années 1960 et 1970, son talent, sa fiabilité et son intégrité seront reconnus. L’estime qu’on lui témoignera sera nourrie par le respect que lui-même avait pour le photojournalisme et ce qu’il considère comme sa profonde vocation : celle de poser un regard engagé sur le monde. Il était convaincu de l’impact des images de presse sur l’opinion publique avec l’espoir que la prise de conscience d’une situation par la majorité peut évoluer vers une conscience collective. D’entrée de jeu, Dany Be n’hésitait pas à investiguer, à aller au front dans l’exercice de son métier de photographe journaliste. D’ailleurs, les risques qu’il prenait lui ont causé de multiples complications : des altercations avec les forces de l’ordre, des arrestations et séjours en prison presque sous chaque régime, son renvoi du journal Le Courrier de Madagascar en 1971, et enfin
la plus dure, la confiscation de ses archives couvrant les années 60 à 70 par la Police de la censure en 1983 — environ deux mille pellicules qu’il ne retrouva plus jamais. Enfin, un grand féru de sport, avec une connaissance incomparable des règlements de chaque discipline, Dany Be avait consacré également une grande partie de son travail photographique au sport malgache, notamment le rugby, un sport qu’il pratiquait lui-même dans sa jeunesse. Il était également l’un des principaux animateurs de la vie professionnelle des photographes malgaches avec ses autres confrères tels que Pierrot Men et Emile Rakotondrazaka (dit Ramily) à la fin des années 1990. En 2021, Dany Be s’est éteint à Antananarivo après 62 ans de carrière dans le journalisme et la photographie.
Recueillis par Lynda A.