Mahajanga est maintenant la capitale de pêche crevettière après Nosy be. Beaucoup de sociétés de pêches exportent des crevettes à plusieurs pays. En ce moment, on ne voit pas l’amélioration de la région de Boeny par rapport à la redevance de ces ressources, même s’il y a beaucoup d’emplois engendrés par ces sociétés. Or, dans plusieurs années, le premier produit d’exportation en pêche à Madagascar est : la crevette.
René vient de célébrer ses 25 ans de travail d’ouvrier dans Unima, la société la plus grande qui fait l’exploitation de crevettes d’aquaculture à Mahajanga. Il voyage pour travailler pendant neuf mois au total dans une année. Il n’a jamais assisté à l’accouchement de ses 04 enfants. Il sait qu’autre part, à l’étranger, les gens payent beaucoup d’argent pour les crevettes Malagasy mais ses rêves ne deviennent pas la réalité. Il reste comblé dans une maison des bas quartiers. Il dort sous le toit de pailles. Il n’a pas même goutté des crevettes de sa société. En sortant du bateau de mer, il marche dans des eaux usées de son quartier, après la pluie et se demande, qui va bénéficier les retombées de ces richesses qu’il donne beaucoup de temps à travailler si ce n’est pas lui et sa famille ou sa région.
Sa ville, Mahajanga, est la principale localité qui fournit les richesses halieutiques comme les crevettes. Comme René la population de cette ville ainsi que de la région de Boeny se plaint de sa condition de vie. Rien n’est améliorée à travers les retombées de l’exploitation malgré la passation d’une loi en 2014-020 sur la décentralisation, arrêté n°011-17/REG-BN/CR fixant « les tarifs et taux de ristournes sur les produits de l’agriculture, des forêts, de la pêche et de l’élevage destinés à l’exportation ». Selon le chef de la région de Boeny, Said Ahmad Jaffar, une seule société, sur les 15 sociétés d’exportation de pêche dans la région de Boeny remet des ristournes des produits exportés à la région. L’administration locale est privée de ressources essentielles pour avancer le développement. La population se trouve dans la pauvreté d’où le sous-développement, la pêche illicite et la collecte illégale locales s’empirent.
Depuis 2016, les recettes de l’exportation des crevettes se placent au 2ème rang à Madagascar, après le thon, selon l’ancien ministre des Ressources Halieutiques et de la Pêche, Gilbert François, pendant la cérémonie de l’ouverture de pêche crevettière, le 01 mars 2018. La filière pêche apporte 7% du PIB de Madagascar, et la pêche crevettière prend place de 13%. « La production enregistrée exportée en 2016 était aux environs de 4 200 tonnes ou la valeur de 38 millions de dollar, et 9212 tonnes ou 92 millions de dollar pour 2017, sans compter le développement de l’aquaculture de crevettes », a-t-il enchaîné. La filière crevettière, incluant pêches et aquaculture, est à la fois l’une des principales sources en devises de Madagascar mais également un employeur majeur dans ce pays en développement avec un PIB par capital de 260 USD. Elle est donc considérée comme stratégique au niveau national.
Les ressources halieutiques sont rationnelles mais le ministère sollicite et encourage le centre de développement de l’aquaculture à Mahajanga parce que c’est l’avenir de la nation. René ainsi que le président de l’association de pêcheurs traditionnels à Mahajanga, ils ne sont pas d’accord. La mise en place d’aquaculture détruit les mangroves, or la reproductivité des crevettes et des crabes dépend des mangroves. Un pêcheur retraité et ancien collègue de René donne son avis : « en ce moment, nous voyons bien que Mahajanga n’a pas d’évolution, combien de ristournes des produits de pêche entrent dans la commune ? C’est pourquoi je dis que les malgaches surtout les majungais ne bénéficient pas les retombées des richesses des ressources halieutiques et des pêches. Contrairement, nous perdons beaucoup de ressources naturelles avec ces pêches aquatiques, sur le côté environnement. Les intérêts sont pour les gens de gouvernement et les intellectuels». Un jeune universitaire aussi exprime : « La pêche n’a pas de ristournes aux jeunes à Ma, on ne voit pas des joueurs ou l’équipe sportive des sociétés de pêche comme dans des années 80 et 90 ».
En fait, les grands producteurs n’ont jamais rempli leurs obligations depuis, même après la mise en place de cette loi 2014 – 020 qui régit au paiement de ces ristournes, sauf la Somapêche (Société malgache de Pêche). Selon l’explication du chef de la région de Boeny, Said Ahmad Jaffar, aucun responsable successif n’a réclamé le droit aux sociétés. Ces contributions qu’auraient dû être payées par les sociétés qui exportent de crevettes se montent à 19 millions d’Ar par an. Par ailleurs, une conférence-débat réunissant tous les acteurs de la filière crevettière dont entre autres le ministère de tutelle et ses directions régionales, le Groupement des Aquaculteurs et des Pêcheurs de Crevettes de Madagascar (GAPCM), les organisations de pêcheurs et les autorités locales, a été organisée dans la Chambre de Commerce et d’Industrie de Mahajanga en 2017. L’objectif consiste à développer ensemble cette filière porteuse. De son côté, le Chef de région de Boeny a sollicité les autres sociétés de pêche crevettière en matière de redevabilité sociale par le paiement des ristournes afin de contribuer à un meilleur développement de la région.
Une réunion des opérateurs de ces sociétés d’exportation de crevettes à Mahajanga, s’est tenue au bloc administratif au mois de février 2018. Ils ont signé une convention avec la région de Boeny, qu’ils vont remettre des ristournes par rapport aux crevettes exportés, ainsi que les produits de pêche. A partir de cette convention, les sociétés membres de GEPAM (Groupement des Entreprises de Mahajanga) vont payer de ristournes de produits exportés à 2400 Ar par tonnes. Pour les sociétés qui ne sont pas membres de ce groupement vont payer à 3000 Ar par tonnes. Il y a une coopération avec les agents de douanes pour les vérifier. Selon toujours le chef de région, ce sera un critère pour que ces exportations soient en règle. Cette loi 2014 – 020 aussi régit le partage de ces ristournes : 50% pour la commune de Mahajanga et 30% pour la région de Boeny. Ces argents sont destinés aux nouvelles constructions de la commune et de la région.
La société pour laquelle travaille René, le Groupe Unima, est la plus importante entreprise franche d’élevage et d’exportation de crevettes à Madagascar. Les zones franches ont été créées en 1990, après les problèmes d’investissements de Madagascar. Il fallait trainer les investisseurs sur Madagascar pour qu’on puisse avoir des créations d’emplois optimums. Selon la loi N° 2007-037 du 14 Janvier 2008 sur les Zones et Entreprises Franches à Madagascar, les exportations de biens et services des Entreprises Franches ainsi que les ventes de biens et services aux autres Entreprises Franches sont assujetties à la TVA au taux de zéro pour cent (0%). En matière d’imposition, les entreprises franches jouissent d’un régime de faveur. Les entreprises de production intensive de base dont la portée économique et sociale assure le développement rural de la zone et dont les superficies de production garantissent le besoin en matières premières de l’industrie. Ces dérogations dont bénéficient les entreprises franches du point de vue fiscal sont souvent assimilées à « un manque à gagner» pour l’État. Cela a un impact sur les contributions des entreprises au développement. Les entreprises franches ne sont pas totalement exonérées d’impôts. Elles paient directement l’ensemble des impôts sur les salariés qu’elles embauchent (lRSA notamment), ainsi que la parafiscalité assise sur l’emploi comme les cotisations sociales salariales et patronales, qui sont loin d’être négligeables. Mais elles ne payent pas d’impôts sur leurs profits. Il y a alors aucune justification pour leur non-respect de leurs obligations envers les riverains.
Pour la filière crevette d’aquaculture il faut noter que les cahiers des charges des sociétés imposent que 2 % de leurs productions soient consacrés au développement économique et social des populations locales. Selon la loi 2014-020 sur la décentralisation, la société devrait payer ces frais à la région pour que la région décide comment les investir. Selon un responsable de l’Unima à Mahajanga, cette société exporte 3000 tonnes de crevettes par an depuis 2016 ou la valeur de 160 milliard d’Ariary. Ils ont investi environs 2 milliard d’Ariary par an au développement local, sous forme d’un projet pour lequel ils ont la seule puissance de décision, qu’il ne s’agit d’une reconnaissance et une réponse à leurs obligations comme exigé par la loi. Selon toujours ce responsable de la société, Unima contribue à l’amélioration de la santé des communautés environnantes du site d’implantation de la ferme par la création de dispensaires, la fourniture d’eau potable, un autre volet d’action avec la construction d’écoles et de bibliothèques. Le développement d’infrastructures comme l’électricité, les routes, et facilite l’évacuation sanitaire des malades. Unima a construit près de ses usines des écoles qui accueillent plus de 6000 élèves et dont les résultats sont les meilleurs de la région. Mais ce sont eux et pas la communauté qui décide comment et combien d’argent est dépensé. La famille de René, pour sa part, n’en a pas profité parce qu’elle habite dans la commune urbaine de Mahajanga, capitale de la région de Boeny, loin du site.
En 2014, sur la base de la loi sur les régions publiées en 2004, Unima devrait payer des ristournes d’un montant de 2,3 milliard d’Ariary sur ses productions halieutiques, selon l’ancien chef de Région Boeny, Rasoloniana Jean Christophe Noël. L’actuel chef de région Saïd Ahmad Jaffar aussi confirme qu’Unima n’a jamais rempli son obligation de payer ses ristournes. Même si l’exploitation engendre environ 1500 d’emplois et qu’elle contribue à l’amélioration de la santé des communautés environnantes du site d’implantation de la ferme, elle doit remettre des ristournes à la région. Et les gens du village ne sont pas satisfaits de ses contributions. Comme la route vers Mahajamba et Besakoa est très abimée, Unima a juste fait des petits terrassements chaque année. Pendant la période de pluies, ces communes sont devenues des zones enclavées, les moyens de transports ne peuvent pas circuler.
L’Unima est exemptée de payer ces contributions à la région de Boeny parce qu’elle opère dans une zone franche, explique toujours le responsable de la société. Elle a son propre cahier de charges et elle paie ses impôts directement à l’État mais le montant est confidentiel. Selon le commerce extérieur de Madagascar en 2016, parmi les produits de la mer, les exportations de crevettes (provenant principalement des entreprises franches) représentent près de 4% du total exporté (3% en 2015) soit une hausse de 30% en valeur de 11,4 millions de dollar en 2016. La réalisation des plans de développement communautaires dépend des ristournes des ressources naturelles comme : la réparation des routes régionales et communales.
Selon l’économiste malgache Serge ZAFIMAHOVA, Président de la plateforme MDE (Madagascar Développement et Ethique), les zones franches sont en dehors du régime général de l’entreprise. C’est-à-dire, les sociétés en zones franches ont des avantages fiscaux. Cependant, le succès de la zone franche malgache reste un phénomène mal connu, faute d’avoir été suffisamment analysé. Mais surtout, il continue à être controversé à Madagascar même, malgré le puissant activisme de l’association patronale représentant les zones franches (GEFP Groupement des entreprises franches et partenaires). Un certain nombre de voix continuent à s’élever contre les zones franches, auxquelles plusieurs griefs sont imputés, comme le manque à gagner fiscal pour l’État, concurrence déloyale vis-à-vis des opérateurs nationaux, exploitation de la main-d’œuvre locale, faible intégration dans l’économie locale. L’avantage de l’État malgache est basé seulement sur le salaire des employés et des petites taxes.
Tous les employés de l’Unima sont venus de la localité. Mais René ne reçoit que 200 000 Ariary par mois à l’Aqualma. Pour cet argent, il travaille 6 semaines suivies d’une semaine de repos. Comme tous les employés, la famille de René reçoit 25 kilos de riz par mois au-dessus de son salaire. Mais quand même la famille n’a pas assez pour vivre. Son salaire paie juste la facture de l’eau, l’électricité et le loyer. Sa femme Marianne s’occupe de la nourriture par jour. Elle fait une petite gargote devant leur maison tous les soirs et ses 04 enfants ne vont plus à l’école.
Depuis 2017, les sociétés en zones franches ont le système indépendant de l’État. Selon toujours Serge ZAFIMAHOVA, les contreparties que demande l’État malgache sur les zones franches ne sont pas claires parce que les textes sont proposées par les consultants des organisations internationales, et ils ne défendent pas les intérêts de Madagascar mais uniquement des intérêts des investisseurs. L’économiste aussi explique : « Normalement, une société zone franche ne paie pas de ristournes. Et comme Unima, une société qui exploite les ressources naturelles de Madagascar ne soit pas éligible en zone franche, c’est une aberration, et même une trahison envers les intérêts de Madagascar. Elle doit payer beaucoup de ristournes à la région et à l’État Malgache». Les zones franches sont des pertes fiscales de Madagascar, a-t-il enchainé. Et des populations riveraines.
En voyant des tonnes de crevettes exportées par an, René continue à rêver son rêve : que lui aussi puisse faire la pêche artisanale et vendre des crevettes pour bénéficier ces richesses, et assurer au moins l’avenir de ses enfants.
Cet article a été produit par Judith RAKOTOVAO et rédigé dans le cadre de “La Richesse des Nations”, un programme panafricain de développement des compétences médias dirigé par la Fondation Thomson Reuters en partenariat avec TrustAfrica. Plus d’informations sur http://www.wealth-of-nations.org/fr/
Recueilli par Lynda A.