GeneRice est l’acronyme des termes en anglais mais traduits ici en français : Création et diffusion de variétés de riz Génétiquement éditées. Il s’agit d’un projet de recherche mené par le CIRAD, le FOFIFA à travers le dispositif de recherche et de formation en partenariat Systèmes de Production d’Altitude et Durabilité (dP SPAD), et des universités et organismes de recherche malgache, chilien et colombien. Les activités du projet GeneRice ont été conduites sur trois continents différents : Europe, Afrique et Amérique du Sud de 2017 à 2021. Prévu pour durer trois ans, la crise sanitaire liée à la pandémie du covid-19 a conduit à prolonger le projet jusqu’en 2021, date de l’atelier final qui a dû se tenir entièrement en visio-conférence le 21 avril. agritrop.cirad.fr/599460/
Parmi ses principaux accomplissements, le projet GeneRice a réussi à induire à une variété de riz pluvial très cultivée sur les Hautes Terres malgaches, connue sous le nom de Tsipolitra ou encore Chhomrong dahn , un caractère complexe de meilleure efficience de l’utilisation de l’azote du sol grâce à une technique d’édition du génome (méthode CRISPR/Cas9) au cours d’expérimentation en laboratoire en France.
Pour rappel, un génome correspond à l’ensemble de l’ADN (acide desoxyribo-nucléique) présent dans les cellules d’un organisme vivant et l’ADN conditionne la transmission et l’expression des caractères héréditaires déterminés chez un organisme vivant, dont le riz. L’édition du génome consiste à « réécrire » de façon précise les séries de bases ou nucléotides qui composent un génome en faisant intervenir une enzyme du nom de CRISPR/Cas9, dans le but de modifier un caractère donné.
Ainsi, dans le cas du riz, grâce à cette technique, la variété Tsipolitra a été dotée d’un nouveau caractère conférant une meilleure efficacité d’utilisation de l’azote. La nouvelle variété peut produire jusqu’à 15% de grains supplémentaires par rapport à la variété d’origine « non éditée » selon les résultats obtenus dans un essai au champ réalisé en Colombie sous deux niveaux de fertilisation.
Ces résultats encourageants permettent d’envisager d’une part la mise à disposition de cette nouvelle variété auprès des agriculteurs, et d’autre part, de prospecter l’application de cette technique pour améliorer d’autres caractères que ces mêmes utilisateurs, qui sont à la fois producteurs et consommateurs, estiment importants pour contribuer à l’amélioration de la sécurité alimentaire ou des revenus de l’exploitation agricole. Seulement, la mise en pratique s’avère complexe dans la mesure où les dispositions légales en vigueur à Madagascar ne le permettent pas et que la société reste divisée sur l’idée que les denrées agricoles, en particulier le riz, l’aliment de base malgache, soient issues d’une manipulation génétique.
Outre la documentation des conditions de faisabilité réglementaire de la technique d’édition du génome appliquée au riz, à travers une expérimentation de l’évaluation participative de l’acceptabilité sociétale, le projet a aussi ranimé le débat sur la position citoyenne vis-à-vis des nouvelles techniques d’amélioration des plantes capables de modifier certains gènes.
Les consultations des instances nationales en charge des questions de la biosécurité et des experts juridiques ont permis de comprendre que deux grands principes s’opposent à l’acceptation de l’adoption éventuelle des plantes génétiquement éditées (PGe) à Madagascar. D’un côté, les défenseurs du principe de précaution mettent principalement en avant l’intérêt de protéger l’environnement et en particulier la biodiversité, dont le déclin potentiel aurait des impacts sur la santé pour argumenter leur refus à des produits génétiquement modifiés, voire édités. Cette communauté se satisfait d’ailleurs que les organismes génétiquement modifiés (OGM) aient été proscrits à Madagascar depuis 2018, date de la promulgation du décret 2018-397 interdisant l’importation et l’utilisation des OGM sur le territoire malgache. D’un autre côté, une autre communauté qui pencherait plutôt en faveur du principe d’innovation estime qu’il est envisageable de donner une ouverture d’application pour les PGe en tant que plantes différentes des OGM, ce que réfutent les adhérents au principe de précaution. Dans ce second cas de figure, toute démarche de création, d’importation ou de manipulation (production et consommation) serait soumise à des évaluations et à des contrôles systématiques pour pouvoir contrecarrer les éventuels dommages qu’elles pourraient engendrer. Cette démarche serait justifiée en faisant prévaloir les avantages connus plus que les risques éventuels.
Les interfaces d’interaction mises en place par le projet pour asseoir le débat et faire émettre des opinions contrastées de différentes catégories d’acteurs issues des services étatiques, des universitaires/chercheurs, de la société civile et des organisations de producteurs n’ont pas permis de rapprocher les avis. Des consensus sont apparus mais des divergences persistent. Toutes les parties s’accordent en effet sur la nécessité de clarifier l’état des connaissances scientifiques, tant sur les avantages (gain de rendement, même avec des intrants limités, moindre coût de la création variétale…) que sur les risques potentiels pour l’économie des exploitations agricoles (dépendance économique vis-à-vis des détenteurs des droits de propriétés sur les variétés nouvelles), pour l’environnement (contamination biologique et écologique), pour l’alimentation et la santé (apparition de nouvelles maladies, intoxication éventuelle). Cela permettra notamment de distinguer et mieux catégoriser les PGe vis-à-vis des OGM. La difficulté de se mettre d’accord sur l’existence ou non de frontière entre eux constitue un des obstacles sur la disposition à prendre vis-à-vis des PGe. En ce sens, le projet de loi sur la biosécurité, émis en 2004, pourrait clarifier la situation. Répondant à plusieurs principes, ce projet de loi met notamment en avant celui de la prévention en essayant de proposer les dispositifs institutionnels et scientifiques permettant de renforcer les capacités nationales à anticiper l’avènement des plantes issues des nouvelles techniques génomiques (NGT). Cette anticipation pourrait être réalisée à travers la mise en place de bureau de consultation des parties prenantes (publiques, privées, issus de la société civile ou des organisations paysannes …) et de laboratoires de contrôle pour permettre in fine l’évaluation des risques d’ordre divers, environnemental, sanitaire, biologique … L’adoption de ce projet de loi demeure en suspens jusqu’à présent. Des recommandations y afférant ont été proposées par le projet dans une note de perspective politique https://agritrop.cirad.fr/598571/.
Outre les publications diverses des résultats scientifiques dans des revues internationales (https://thericejournal.springeropen.com/articles/10.1186/s12284-020-0366-y, https://doi.org/10.1016/j.techfore.2021.120720) et dans des conférences, le projet a aussi contribué à renforcer la capacité des parties prenantes locales comme des étudiants en Master, des doctorants dont la dernière lauréate de l’édition 2021 du concours « Ma thèse en 180 secondes », ainsi qu’à des post-doctorats. Ces travaux ont révélé d’autres attentes des agriculteurs vis-à-vis de la recherche variétale parmi lesquels la morphologie de la plante de riz au champ qui présage l’obtention d’un bon rendement comme la longueur de la paille (indicateur d’une certaine vigueur), la longueur de la panicule qui détermine le nombre de grains, la taille des grains qui est corrélée à leur poids ;le rendement à l’usinage ou encore les caractères gustatifs où le riz à péricarpe coloré (rose, brun ou rouge) susciterait davantage l’appétit.
Enfin, et non des moindres, le projet a œuvré dans le renforcement de capacité du laboratoire de biologie moléculaire des plantes (figure 3) qui est dorénavant le premier à Madagascar capable de détecter des OGM et des plantes génétiquement éditées. L’existence de ce laboratoire pourrait aider à faire évoluer les positions opposées à l’encontre de l’utilisation des PGe.
Recueilli par Lynda A.